René Frick

Interview de René Frick, Giromagny 6 novembre 2024

par Dominique Varry, avec la complicité de Maurice Cattin.

Baden powell 3

 

DV : Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

RF : Je suis le fils de mon père. C’est essentiel ça. Parce que mon père était quelqu’un d’exceptionnel, et ma mère aussi. J’avais 9 ans et demi quand la troupe scoute a été fondée par l’abbé Dufay, et mon père m’a dit « il faut y aller ». Et j’y suis allé, parce que mon père aurait été un sacré chef scout. Je suis né en 1927 et je n’avais pas encore 10 ans quand je suis entré dans la première patrouille de Giromagny fondée par l’abbé Dufay en 1937, à la création. Pendant un an il n’y a eu qu’une patrouille, les Cigognes. Un an plus tard a été créée celle des Daims. Voilà une photo de la première patrouille, et je suis le petit à droite.

Une image contenant plein air, sport, personne, habits

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C’est mon père qui m’a dit « il faut aller chez les scouts » parce que lui il y croyait. Il croyait à la nature, à l’amour aussi. J’étais à l’école à Giromagny jusqu’au certificat d’études. Je ne l’ai pas passé à Giromagny. Je suis allé à Sainte-Marie (à Belfort) à 11 ans.

DV : A Sainte Marie, il y avait des scouts.

RF : J’ai été élève à Sainte Marie, et je suis entré à la 4ème Belfort[1], une fois que j’étais chef à Giromagny, l’année de mon bac (1945 ?). J’y suis resté deux ans. On était deux chefs et je voulais apprendre un peu mon métier de chef.

Quand l’abbé Dufay[2] a créé la troupe, Giromagny était son premier poste de vicaire. Il avait été nommé en 1936. C’était son premier poste de vicaire. Il n’était pas tout jeune, il avait fait des études à Rome. Il serait devenu archevêque de Paris s’il avait vécu ! Pas par ambition, mais par ses capacités.

Mon totem : Renard impératif

J’ai été totémisé quand je suis allé à Courtefontaine (Jura) en camp avec la 4. J’avais amené mes scouts aussi, c’était une dépendance de Sainte-Marie, une maison de repos de Sainte-Marie. La 4, ils allaient aussi à Chenecey-Buillon (Doubs). Ils avaient aussi une colonie de vacances près de Quingey (Doubs).

DV : Quelle était la vie de patrouille à la 1ère Giromagny ?

RF : Les garçons de la troupe, c’étaient les voisins, les copains. Le chef de patrouille n’est pas sur la photo. C’est lui qui a dû la prendre. Son père était fonctionnaire, donc il est parti assez vite. Je ne sais pas ce qu’il est devenu mais il n’était pas de Giromagny. Les chefs c’étaient des militaires : le lieutenant Ayrault qu’on n’a pratiquement jamais vu, et puis un gars, un ancien routier breton qui a été vraiment sympa, Le Hérissé, qui était toujours avec nous grâce à son lieutenant. Il était libre quand on voulait et il était vraiment sympa. Il y avait une caserne à Giromagny, mais on n’était pas encore à la caserne à cette époque-là[3]. On avait un petit local que le curé avait trouvé. Et deux ans après, on a intégré le bâtiment où il y avait les Œuvres. Ils nous ont donné un local, et à ce moment-là, on avait deux patrouilles. C’était en 1939. Ce grand bâtiment a été rasé il y a huit jours. Il y avait un cinéma paroissial, près de la maison de retraite. Notre local, on l’appelait le Manoir.

DV : Vous étiez scout à Giromagny quand vous avez intégré Sainte Marie, vous saviez qu’il y avait des scouts à Sainte Marie ? Vous les fréquentiez ?

RF : Oui, mais Giromagny fonctionnait, donc je n’avais pas de raison de changer.  Bigoud. Son surnom de professeur, c’était Bigoudis. Chez les scouts on l’appelait Bigoud, on n’a pas osé l’appeler Bigoudis. Il a été mon chef de troupe à Sainte-Marie.

DV : Le scoutisme de la guerre. Le scoutisme est interdit par les Allemands, comment est-ce que vous l’apprenez ? Comment est-ce que vous réagissez ?

RF : Je vais dire qu’on a rigolé, mais pas loin, parce que d’abord, on était en zone interdite, mais il y avait très peu d’Allemands, pratiquement pas, à Giromagny. Avant-guerre, il y avait un bataillon du 35ème Régiment d’infanterie à Giromagny. Il y avait quelques gardiens aux casernes. Les Allemands étaient les gardiens d’étrangers qui étaient reclus là dans les casernes qu’avait occupées le 35. Les Allemands, on les voyait à peine dans le pays, il y avait une dizaine de gardiens.

DV : Donc vous avez continué comme si de rien n’était.

RF : Oui, oui. On était même en uniforme ! On a fait nos camps régulièrement. On montait les couleurs tous les matins puis on les redescendait. On ne laissait que les couleurs (fanions ?) des patrouilles, on ne laissait pas le drapeau tricolore.

Les camps ? dans la région forcément, à cause du ravitaillement. On allait essentiellement dans le Haut-Doubs, parce que là ils étaient à l’aise. On a été à Passavant[4]. Le boulanger s’appelait Farine. On n’avait pas de problème de ravitaillement, on allait chercher du lait, dix litres de lait, des pommes de terre dans les fermes.

On a campé à Passavant en 1941, aux Bréseux (Doubs) en 1942, à Courtefontaine (Jura) en 1943. A ce moment-là, l’encadrement était désorganisé.

En 1939, il y a eu l’état-major de la VIIIème armée, je crois, qui occupait les deux petits châteaux de Giromagny. En septembre 1939, nous les scouts, on a été mobilisés pendant un mois, on était en permanence à la mairie pour guider les voitures qui venaient avec un général dedans. Après, les activités ont été extrêmement réduites pendant un an ou à peu près parce que nos chefs, qui étaient des militaires sont partis. On a essayé d’en trouver localement. On en a bien trouvé un très bien, mais il a eu un cancer du cerveau, et n’a pas survécu longtemps. Alors finalement en 1941 on s’est trouvé deux patrouilles sans chef de troupe. On n’était que deux chefs de patrouille (moi, Renard et Poulain) et on a repris les affaires en main. J’avais 14 ans. L’autre chef de patrouille avait un an de plus que moi. Il s’appelait Jules. On a donc refondé la troupe à partir de ces deux patrouilles et on a vécu comme cela pendant toute la guerre.

DV : on m’a dit que des chefs de la 4 étaient venus : Kammerlocher.

RF : Kammerlocher[5] est venu plus tard.

On avait sollicité des anciens scouts de Belfort, mais personne n’a voulu venir, alors on a continué tous les deux et au bout d’un an ou à peu près, on a laissé notre place à de vrais chefs de patrouille, et nous on s’appelait CP hors cadre. C’est là que je suis allé à Sainte Marie pour me former. On a fait comme d’habitude les camps et les sorties en plus je faisais les camps et les sorties de Sainte-Marie. Le patron de Sainte Marie nous permettait d’aller voir le petit père Coulon[6] à Belfort. C’est lui qui nous a un peu formés. On allait le voir à midi, on restait une heure. Je ne sais pas comment il mangeait. Il était ingénieur à l’Alsthom. Avec nous, il était gentil comme tout. C’est lui qui nous a formés à être de futurs chefs de troupe. Il avait trois filles et deux garçons.

On a eu Pierre Kammerlocher comme chef, mais il n’est pas resté. On a eu aussi Trouillat[7]. On avait convenu d’aller camper à cinq aux Bréseux en vélo. On est passé le chercher chez lui, et il n’a pas voulu venir. Après, on ne lui a plus beaucoup causé. Il avait peut-être ses raisons, il ne les a pas dites. Alors on est parti aux Bréseux, chez l’aumônier qui était de ce village, sans le dire à mon père qui n’aurait peut-être pas voulu. Il nous a largués comme ça.

L’aumônier était l’abbé Maire-Amyot, il a été après curé de Granvillars. On a toujours voulu avoir un aumônier avec nous. On y tenait, ça faisait partie du paysage. Il a été aumônier de 1941 à 1944/45. En 1946 ou 1947, l’aumônier ne pouvait pas venir au camp, alors on a été en chercher un autre, le directeur du séminaire de Besançon. Il est venu, il a couché sous la tente comme les autres. Il était content d’être venu avec nous. Il avait peut-être 45 ans.

L’autre chef de patrouille hors cadre s’appelait Robert Georges. Il nous a quittés pour partir au séminaire. Il a beaucoup voyagé, au Canada, en Afrique. Quand il a dit sa première messe à Giromagny, il avait 50 ans.  Je crois qu’il est décédé en 2007 ou à cette période-là.

DV : Quels étaient vos liens et vos rapports avec les autres scouts des environs ?

RF : Avec Sainte-Marie, ça allait. Il y avait parait-il des scouts à Lepuix[8]. Il y a eu quelque chose pendant peu de temps. On ne les a jamais rencontrés, je ne sais même pas s’ils existaient vraiment. En 1943 à Lepuix, le pont du Saut de la truite[9] a sauté. Il y avait là un calvaire qui a été complètement démoli. Avec les Ponts et Chaussées, et avec mon père, on a décidé de relever ce calvaire. On a collé le corps du Christ, qui était en petits morceaux contre un rocher, et vingt ans plus tard, il était toujours là. A ce moment-là, les gars de Lepuix, les « scouts » de Lepuix ont fait un article dans leur bulletin municipal disant que c’étaient eux qui l’avaient restauré. Je ne leur en ai pas voulu, mais j’ai fait un petit mot au curé pour lui dire non, c’est pas ça et je lui ai montré les documents où on est en train de travailler à recoller les morceaux du calvaire.

Autrement, on a invité des gars de Plancher les Mines à nos camps une fois ou deux, il y avait une patrouille libre. On s’était très bien entendu.

Avec les scouts de Belfort, je m’entendais bien. Il y avait Cadet qui avait été commissaire des éclaireurs. Il était de Ronchamp. Je m’entendais bien avec lui et il nous estimait. Un jour on a l’invité à manger et à passer la veillée avec toute la troupe. Il est venu gentiment et on a créé pour lui le banc du commissaire

« Un commissaire ça sert

un commissaire ça sert

un commissaire ça sert… à rien »

Il est resté jusqu’en 1950 à peu près. Après on a eu Ronchin. Ils avaient une usine textile, ou plutôt de mécanique pour le textile.

A l’origine, le nom de la troupe de Giromagny, c’était Mermoz. Il était très connu à ce moment-là. Un an plus tard, le mouvement a dit non et nous a demandé de changer de nom pour l’affiliation. Il avait parait-il une vie trop dissolue. Pour être tranquille, on a pris Saint François d’Assise. Dans notre tête, on a remplacé Mermoz par Saint Exupéry… qui n’était pas un saint non plus. J’ai encore des bandes de groupe Jean Mermoz (il faudrait les photographier !)

Après 1943, et en 1944, la situation a évolué. Il y a eu plus d’Allemands, et en septembre 1944, le front s’est arrêté à 12 km d’ici. Donc, la Gestapo, la milice… étaient ici, il n’y avait que çà ici. Pendant quelques mois on a été brimé.

DV : Est-ce que vous saviez que l’abbé Dufay, que les routiers de Belfort faisaient de la résistance ?

RF : Oui bien sûr. Un de ceux-là, Jean-Daniel Dupont[10], est devenu mon beau-frère. Il venait déjà à la maison. Son frère Pierre[11] qui a été tué au maquis a passé la veille de sa mort dans une pièce de notre maison. C’est là qu’il a écrit la lettre à sa mère. Je l’ai aidé à partir. J’ai pris son sac sur la remorque de ma bicyclette et je l’ai amené jusqu’à l’entrée du bois d’Auxelles. Moi j’avais des culottes courtes, je faisais petit gosse. Lui, on voyait que c’était un adulte. Avec son sac, il aurait pu être arrêté, alors j’ai porté son sac à l’entrée du chemin de la Planche. Bernard Braun[12] il a été arrêté parce qu’il portait des messages. Il a été interné à la caserne de Giromagny. On allait nous les grands scouts leur porter à manger tous les jours. On y allait avec ma sœur. Elle avait le droit de leur donner, mais nous les garçons n’avions pas le droit d’approcher. Elle a causé avec Bernard Braun à la caserne de Giromagny et il a été emmené en Allemagne où il est mort, je ne sais pas exactement dans quelles circonstances.

Son papa[13] a été arrêté aussi. Bernard avait deux ans et demi de plus que moi, je ne sais pas pourquoi je le connaissais si peu. Il a été scout à Giromagny mais pas dans ma patrouille alors que son frère Jean Braun qui a été médecin à Belfort était dans ma patrouille.

Ils ont été scouts à Giromagny, ils habitaient Giromagny. C’est son père le docteur Braun qui m’a fait naître dans la pièce à côté. Je n’ai jamais quitté la maison ! Après ils ont déménagé, ils ont habité sur la route de Belfort. Il est parti à Belfort en 1943 / 1944[14]. Donc les deux ils ont été scouts à Giromagny, ils ont habité Giromagny mais pas longtemps

Quelques mois après la fondation de la première patrouille, la patrouille des cigognes, il y a eu une seconde patrouille, les Daims, et les Braun en ont fait partie ; le grand Braun, Bernard, il n’est resté qu’un an parce qu’il faisait des études à Ressin (Rhône). Il était technicien agricole. L’autre scout a été mon médecin, et c’est lui qui m’a sauvé la vie parce qu’il m’a envoyé d’urgence à Strasbourg pour être opéré du cœur. L’opération a duré sept heures, et puis je me souviens, j’étais dans une salle de réveil et j’ai été réveillé par l’ange au sourire de Reims, tout habillé de blanc avec quelque chose sur la tête, et au bout d’un moment je l’ai reconnu, c’était mon Martin [son fils].

DV : Quand ils sont montés au maquis ils ont emmené tout le matériel des scouts de Belfort. Ont-ils aussi emmené le matériel de Giromagny ?

RF : Oui, c’est un des grands scouts qui l’a pris au local et qui l’a déposé à Malvaux[15], mais il ne m’avait pas prévenu, et moi j’ai cru qu’on nous l’avait volé. C’était décidé qu’on porterait ce matériel à Malvaux, mais on ne se disait pas tout. On restait sacrément secret à ce moment-là. Un jour, en 1943, on campait pour le camp de Pâques à Saint-Nicolas, quand tout d’un coup je vois l’abbé Dufay qui se planquait à Saint-Nicolas. On s’est dit deux mots, pas grand-chose, mais ça je ne l’ai jamais dit à personne par prudence, pas même à mes parents.

DV : Vous saviez ce qu’il faisait ? qu’il était dans la Résistance ?

RF : Je me souviens un jour, au début de 1943, l’abbé Dufay est venu à la maison et il a causé avec mon père. Il demandait où on pourrait installer un maquis à Giromagny. Il proposait la Haute Planche. Mon père lui a dit « non, il ne faut pas prendre la Haute Planche. Vous êtes coincés. Vous n’avez aucun débouché. Les Allemands sont au Ballon d’Alsace, sur la route du Ballon, sur la route de Plancher-les-Mines, vous êtes coincés ». Que s’est-il passé ? Il n’en a pas tenu compte. Ils ont été coincés effectivement. Je sais bien qu’il ne comptait pas y passer 36 jours, mais seulement quelques-uns. En plus, le temps a été épouvantable. C’est la compagnie de commandement, la première et la deuxième compagnie qui étaient à la Planche. Les autres étaient ailleurs, à Etobon et près de la frontière suisse. Encore une fois, mon père avait raison.

Le maquis ici, il était peut-être bien placé parce que plus personne n’allait monter là-haut [La Planche des belles Filles], mais dans tous les villages ils ont pris des otages, et puis il y en a qui y sont restés. On devait vivre sous la botte. Oui, c’était ça et puis ça a duré au moins deux mois [du 15 septembre au 20 novembre 1944], le maquis n’est resté là-haut [La Planche des Belles Filles] que quinze jours. Ce que je n’ai jamais compris c’est pourquoi ils ne sont pas tous passés par le Ballon [d’Alsace] pour rejoindre à Servance les troupes alliées. Il y en a qui sont descendus, ils sont partis sur le Chérimont. C’est là qu’ils ont été pris : le capitaine Perriaux[16] et les trois Dugois[17]. Ils n’avaient pas les moyens de communication qu’on a maintenant !

Au centre de secours, un jour, il nous arrive tout un village, Miellin (Haute-Saône), soit 80 personnes qui étaient sur la ligne de front et avaient été évacuées. On les a reçus, nourris et logés pendant quelques semaines jusqu’après la libération. Miellin c’est un coin perdu en dessous de Belfahy. Je pense que les Allemands avaient peur qu’ils alimentent ou soient en communication avec la Haute-Planche. Pourtant, il y avait Plancher-les-Mines qui était quand même plus près. Il y avait un maquis à Ternuay, un au Plainet, au-dessus de Fresse, et puis il y avait celui de Belfort. Il y a beaucoup de maquisards qui ont rejoint l’armée en passant par Miellin.

Maurice  Cattin : Mais pourquoi ont-ils voulu passer par Etobon et aller sur le Magny d’Anigon.

RF : je ne sais pas. Oui, il y avait des maquis partout. C’était une période où il était davantage risqué d’être dans les villages plutôt que là-haut.

DV : Et les gens de Giromagny, qu’est-ce qu’ils disaient ? Qu’est-ce qu’ils pensaient ?

RF : A part quelques-uns, on attendait qu’ils s’en aillent. Mais il y a eu des dénonciations. Mon père a été dénoncé deux fois, et a passé deux fois quinze jours à Friederichs[18]. On ne savait pas où il était. La deuxième fois, il est rentré à pied de Belfort la veille au soir de la Libération [22 novembre 1944]. Il a été libéré compte-tenu de son âge. Ils avaient libéré tous les prisonniers âgés, ils avaient emmené en Allemagne tous les jeunes belfortains de plus de 16 ans, c’est-à-dire tous mes copains. Ils ont été déportés, plus de 600, mais ils sont tous revenus, une chance. Ils n’ont pas été déportés dans des camps, ils ont été affectés dans des fermes, des trucs comme ça, ils voulaient les avoir sous la main.

Maurice Cattin : A ce moment-là tu étais dans les équipes de la Croix Rouge ?

RF : Oui, j’étais dans les équipes de Croix-Rouge. Moi je n’ai pas été au maquis. Dans les équipes de Croix-Rouge on avait du boulot sur place parce que la ligne de front était à quelques kilomètres, et tous les soirs à 10h10 l’artillerie française déclenchait le tir pour immobiliser les Allemands. Mais ils tiraient bien. Il y avait un petit champignon, une bande [--- ?] devant la mairie, on l’appelait le champignon, ils l’ont eu. Chez nous, les obus tombaient dans le jardin et ils m’ont démoli ma place de poireaux. Il y a encore des photos de fils à pendre le linge qui sont coupés par les éclats d’obus. Deux maisons plus loin, la toiture a été arrachée. A cette heure-là, on était dans la cave. On ne restait pas dans la maison. On avait la chance d’avoir une cave voutée. Tous les voisins venaient. On était douze, quinze, alors nous on a été obligés de monter au rez-de-chaussée, et on avait barricadé les fenêtres sur l’arrière avec des madriers, et on dormait là. Compte tenu de la direction du front, l’arrière de la maison pouvait être protégé. Ils tiraient avec des obus de 75, ce n’étaient pas des bombes, donc les dégâts pouvaient être limités. On a vécu comme cela cinq mois durs. Depuis les débarquements du 6 juin et du 15 août, les Allemands reculaient, mais c’était encore le calme. Quand le front s’est bloqué là, les Allemands voulaient interdire l’entrée en Alsace qui pour eux était le Reich. Ils ont défendu son accès sur toutes les Vosges. Il y a eu des combats violents avec les Commandos d’Afrique en particulier. C’est la 1ère DFL qui est entrée à Giromagny. On s’attendait à voir des Américains, on ne savait pas exactement, et puis un matin, le matin du 22 novembre, on voit des militaires qui descendaient la rue Thiers chaussés de chaussures caoutchoutées. On ne les entendait pas marcher. Ils étaient habillés en Américains, une rangée de chaque côté de la rue, et un gars au milieu, qu’on a reconnu, et qui les guidait. C’était Monsieur Boucart, qui était au maquis, qui les avait rejoints, et qui les guidait à Giromagny. Mais on n’entendait rien avec leurs chaussures en caoutchouc, alors que nous on était habitué aux bruits de bottes. Quand ils sont arrivés devant la maison, ma mère a sauté au cou du premier, puis mon père est sorti. Il y avait quatre rangées de voitures dans la rue Thiers. Ils étaient motorisés pour tout, on a découvert les jeeps, les bulldozers… Il y a un pont de Giromagny qui n’était pas terminé. Les deux autres avaient sauté la veille au soir. On était content de les entendre sauter parce que cela voulait dire que les Allemands étaient partis. C’est grâce aux bulldozers qu’on découvrait que ce pont a pu être fait, terminé dans la journée.

DV : On m’a dit que vous aviez indiqué aux libérateurs le seul pont disponible.

RF : A côté de notre atelier, à 100 mètres de la mairie, au carrefour, on passe sous une voute, on arrive aux anciens bâtiments du tissage, alimentés par un canal qui vient de Lepuix. Les différents bâtiments de ce tissage étaient de chaque côté de la rivière. Il y avait un pont, qui n’était pas public, qui appartenait aux tissages, et les Allemands l’ont ignoré. Moi je le connaissais bien, notre atelier était à dix mètres. J’étais devant la mairie et je leur ai expliqué par où il fallait passer. J’ai d’ailleurs été avec eux jusqu’à Vescemont pour les guider. Ils ont pu passer sur ce pont-là, avec difficulté pour les chars pour virer sur place. A 30 cm près, ils ne passaient pas. Ils ont pu passer par là pendant 24 heures. Le soir, l’autre pont, sur la route de Lepuix, était terminé. Les deux autres ponts, il a fallu quelques semaines pour faire des ponts provisoires. Les chars ont pu passer, et à Rougegoutte, il y a eu des combats très durs, tandis qu’ici il n’y a pas eu de combats. Les Allemands se sont mis de l’autre côté de la rivière. On a eu de la chance.

DV : Le scoutisme après, comment ça reprend ?

RF : Mais le scoutisme n’a pas arrêté. On n’a pas arrêté. On a refait des camps. Mais tout de suite après la Libération, on a mis en route ce qu’on appelait la Haute Patrouille, la patrouille des chefs de patrouille. On les avait vraiment en main ceux-là, et puis on a fait du bon boulot avec eux.

DV : Elle avait un nom ?

RF : La patrouille des Aigles bien sûr ! On avait aménagé un petit local exprès pour elle. La JOC organise un concours. On présente notre local qui était tout prêt. On les a épatés, on a eu le premier prix. Il faut dire qu’on avait fait du bon boulot. On était huit scouts. Au fond du local on avait peint une portée sur le mur et sur cette portée on avait mis des photos de nos têtes. On s’était abonné à des revues, et à l’époque on lançait les transmissions : le morse, le sémaphore (je sais toujours !) et puis les phares à longue distance. Le mouvement avait proposé de construire des postes radio émetteurs-récepteurs. Les talkies-walkies n’existaient pas encore. On a construit une paire d’émetteurs-récepteurs et on essayait de se transmettre un petit peu. On n’a jamais été bien loin, mais on transmettait sur quelques kilomètres quand même. Il faut dire que c’étaient des postes à modification d’amplitude, c’est beaucoup plus modeste que les postes à fréquences. Et puis, il fallait qu’on déclare à la préfecture tout ce qu’on émettait. C’était tout de suite après-guerre !

Après on a campé au bord de la Loue. Et puis, il y a une troupe de Rennes qui descendait la Loue avec des canots pneumatiques. Il y en a un qui est passé dans le moulin, heureusement sans les gars ! On a bien regardé ces canots, et on s’est dit « c’est ce qu’il nous faut ! ». Mais il fallait les financer. Un canot coûtait 100 000 francs de l’époque. Alors on avait fait dans le local un tableau dont le thème était « ça va bouillir ! ». Il fallait qu’on trouve 100 000 francs, et en quelques mois, on a pu acheter un canot. Avec l’équipe des Aigles on l’a testé en Haute-Saône, sur l’Ognon qui était une rivière assez facile. Pour le camp suivant, on a réussi à acheter les deux autres canots en les finançant avec les vieux papiers, la ferraille, le cuivre… et puis la goutte ! En particulier l’eau de vie de prunelle, ça valait cher : 20 francs le litre. Mais les prunelles, c’est pas marrant à cueillir ! On a réussi à faire 6 litres de prunelle. On ne faisait pas cela en cachette. On distillait dans le local officiel. Il se trouvait qu’il était dans la maison de son père [à qui ???] qui était jardinier à la maison Mazarin. Mais on ne trichait pas. On a réussi à ramasser 300 000 francs pour les trois canots, et on a fait nos camps avec ces canots, au bord de l’Ain, de la Loue, sur le Doubs. On allait à un point fixe, en car, en train, puis de là on embarquait sur les canots jusqu’au lieu de camp prévu. Et puis après on faisait encore trente ou quarante kilomètres à la fin du camp sur nos canots.

On campait sur « l’île sans nom » sur la Loue (à côté de Buffard[19]). Dans notre esprit, ça ressemblait à Madagascar, d’après sa forme. Nous on était toujours dans des coins perdus. C’était une île. Pour y aller, il fallait faire une passerelle. Au camp précédent, au bord de l’Ain, on n’avait pas de passerelle, on avait décidé d’en faire une, mais on n’avait pas réussi à la construire.

« Ils ont simplement décidé de construire une passerelle

C’était bien là une riche idée

issue de leur vaste cervelle

en deux jours de labeur acharné

ils ont réussi à lancer un casse-gueule pour scout affairiste »

Pourquoi je me rappelle de ça, je ne sais pas. La construction, c’était l’affaire des chefs. L’année suivante, comme on campait sur une île vraiment isolée, on a décidé de construire une passerelle, et on a construit la passerelle. Ce que j’avais composé à ce moment-là, ça s’intitulait « la rose et le réséda ». Ça commençait comme ça : « Deux croyaient à la passerelle, le troisième n’y croyaient pas ». Les deux, c’étaient l’autre chef et moi. Celui qui n’y croyait pas, c’était l’aumônier. Il se foutait de nous et disait « vous n’y arriverez pas », mais la passerelle, on l’a construite en deux jours.

Maurice Cattin : qui était l’autre chef ?

RF : C’était Robert Lacreuse, il est parti l’année suivante à Belfort. Il était fonctionnaire des impôts, il a été muté à Belfort. C’est Jacques Petitjean qui l’a remplacé et il est resté chef cinq ou six ans.  L’aumônier, c’était le directeur du grand séminaire, pendant deux ans, puis ensuite le vicaire de Rougemont, un gars bien baraqué mais qui ne savait pas nager. Il voulait venir avec nous pour nager. Deux mois avant, on lui avait appris à nager à plat ventre sur une chaise, puis après dans l’eau. C’est vrai qu’on leur en a fait voir aux aumôniers. Ils étaient comme nous.

Maurice Cattin : Charles Antoine[20] ? Vous l’avez eu comme aumônier ?

RF : Non, il était vicaire à Notre-Dame à Belfort, et a été curé à Evette. On le connaissait bien, mais il n’a pas été aumônier. Il fallait aussi qu’il soit libre ! On en a fait voir au vicaire de Lepuix. Le dernier camp que j’ai fait, c’était au bord de l’Ain, on avait fait un trailing à partir d’un arbre, un peu en hauteur, suspendu par les deux mains pour aboutir dans la flotte quarante mètres plus bas. Au début, les gars ne voulaient pas y aller, mais à la fin ils y sont tous allés et ça a été une joie pour tout le monde d’aller dans l’eau.

DV : Etes-vous allé au jamboree de Moisson ?

RF : Oui. A ce moment-là, je faisais mes études à Mulhouse, et j’étais au clan de Mulhouse car je voulais un petit peu étendre mes connaissances. Et au clan de Mulhouse on n’a pas fait tout le jamboree, mais on a passé trois ou quatre jours à Moisson comme invités.

Moisson : le Pachy[21] était aussi avec nous avec Lucien Leroy. Il y avait encore Georges Reiniche qui est encore vivant. Georges c’était le frère de la Ginette et puis il y avait un Schnilringer [ ???] qui vit encore.

Maurice Cattin : J’avais 15 ans. Il y en a beaucoup qui ont pu y aller, faire des passages de 3 ou 4 jours spécialement les passereaux [??] et puis il y avait les aînés, les routiers et les cheftaines qui pouvaient y aller pour des services. Alors, de Belfort, il y en a bien trente qui y sont allés. Roby, ma belle-sœur [Mimi], ils sont allés dans ce cadre-là, pour rendre service là où on avait des besoins.

Maurice Cattin s’adressant à DV : et puis, il y avait ton prof qui était chef de camp [Henri Van Effenterre, Tornaq[22]]

RF : Quand je me suis marié, j’ai bien été obligé de laisser la troupe. Je me suis marié au mois d’août (année ? 1958 ?), et après j’ai été chef de groupe. C’était en 1958. Chef de groupe, c’est beaucoup plus calme. Il y avait les guides, les louveteaux et les scouts. C’était ma sœur qui s’occupait des louveteaux.

Les louveteaux ont été créés à Giromagny un an après la troupe scoute, donc en 1938. Les guides ont commencé pendant la guerre, mais ne se sont manifestées qu’après la guerre.

[Trou de mémoire ! Nom d’un responsable à retrouver. Son père était cordonnier et vendait des chaussures]

On allait chaque année en voiture à Jambville.

Chaque année, je profitais des 48 heures du week-end du 1 mai pour aller en voiture reconnaitre un lieu de camp. Pour le camp du trailing au bord de l’Ain, j’avais été voir le maire qui m’avait dit que les propriétaires du terrain n’étaient jamais là, et qu’on pouvait s’y installer. On avait un grand terrain, le long de la rivière. Comme souvent, on a fait un grand portail pour entrer dans le camp. Un beau jour, j’étais au portail, et je vois trois gars qui arrivent, apparemment pas commodes. Je leur dis « Monsieur, vous ne pouvez pas passer la limite, vous entrez dans un camp scout ». L’un d’eux me répond « c’est chez nous ! » J’ai répondu qu’on avait l’autorisation du maire, et je leur ai proposé de visiter le camp. Ils ont visité, et ils ont été épatés. Tout était bien rangé, il n’y avait pas d’arbre coupé… Ils sont repartis gentiment.

La chapelle de Ronchamp, on y allait régulièrement. Elle a été démolie en 1944 par les tirs d’artillerie. Cadet de Ronchamp a mobilisé des fonds pour en reconstruire une autre, et il a fait appel à Le Corbusier. C’était osé, mais elle est belle la chapelle ! Elle a été inaugurée en 1955. Pour l’inauguration, les scouts de Giromagny et de Belfort, on était de service pour diriger les voitures et les cars des pèlerins qui venaient. L’accès de la chapelle était fermé jusqu’au début des offices. Ce sont les trois chefs de patrouilles de Giromagny qui fermaient cet accès. L’un d’eux a refusé l’accès à deux messieurs qui se présentaient en leur disant que ce n’était pas l’heure, et qu’il faudrait revenir plus tard. L’un des deux hommes a répondu « mais je suis Monsieur Le Corbusier » Le scout a répondu « Excusez-moi, je ne vous avais pas reconnu ». Bien évidemment, il ne l’avait jamais vu ! Le Corbusier l’a félicité d’avoir bien fait son boulot.

Les scouts de Belfort et nous on campait l’un près de l’autre à Ronchamp. Nous on a décampé, parce que ceux de Belfort faisaient trop de bruit ! On est allé se mettre ailleurs, il y avait au moins trois troupes de Belfort, ils chahutaient tout le temps.

Maurice Cattin : il n’y avait pas Maurice Pourchet[23] ? Il était vicaire général.

RF : Je ne sais pas. Jean-Pierre Koël[24] était le commissaire de district. Belfort, pour nous c’était un peu bourgeois. A Giromagny, on n’était pas bourgeois. On les valait bien les belfortains. On a fait mieux qu’eux dans certains domaines. Gilbert Sonet, il était électricien, il avait un magasin d’électricité à Belfort. C’était lui le chef des scouts de Saint Christophe. On a fait des choses ensemble, on s’entendait bien, il n’était pas bourgeois et il n’avait pas des bourgeois dans sa troupe [3ème Belfort]. C’est lui qui m’a vendu mon poste de télé, le premier du Territoire, trois mois avant qu’il y ait des émissions. Pendant trois mois, j’ai vu la mire ! Sonet, il a été mobilisé je ne sais pas comment pour recevoir des réfugiés de Hongrie [en 1956 ?] qu’on hébergeait à Lepuix. Avec mes scouts, j’ai travaillé quelques jours avec lui pour aménager cette salle et ces dortoirs pour quatre-vingts hongrois ou à peu près. Je l’aimais bien, c’était un gars sympa.

DV : Est-ce que vous alliez au Grippot[25] ?

RF : Oui, bien sûr, très souvent mais pas avec les autres. C’était un but de sortie, et quand il pleuvait, ça nous était bien utile. On allait aussi à La Madeleine[26], et là encore on utilisait la chapelle pour s’abriter car elle était toujours ouverte. Au Ballon d’Alsace, on utilisait le local des Ponts et Chaussées. On connaissait bien l’ingénieur des Ponts et Chaussées, on avait le droit d’entrer. On avait des abris partout. Il y avait aussi le refuge de la Haute Planche. Mon père a participé à la construction. Quand on faisait des transmissions, on utilisait une maison de Riervescemont[27] que deux vieilles demoiselles nous prêtaient, une vielle ferme qu’on a aménagée pendant quelques mois avec mon assistant. On a consolidé un mur, fait des meubles pour vingt-cinq : une table, des bas-flancs pour vingt-cinq à l’étage, et après on a pu l’utiliser. Moi je l’ai utilisée pendant cinq ans, et mes successeurs l’ont encore utilisée pendant six ou sept ans.

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La maison de Riervescemont

A propos de nos rapports conflictuels avec Belfort. Les gars de Belfort ont appris qu’on avait une maison là, On la leur a prêtée une fois, mais pas deux ! Quelle troupe c’était ? je n’en sais rien.

On avait trois canots à Giromagny, A la demande des gars de Belfort, Petitjean, mon successeur, leur prête nos canots. Ils ne les ont jamais rendus parce qu’ils étaient foutus ! J’ai quitté en 1957, cela devait être en 1962 ou à peu près. On avait vraiment bossé pour avoir ces canots, on les a utilisés sans les abîmer pendant des années… Il n’a jamais été question qu’ils nous indemnisent !

Quand j’étais EOR à Saint Maixent, on s’est retrouvé à quatre scouts dans ma compagnie, alors on ne se quittait plus. Il y en avait un qui était chef d’une troupe Raiders à Bourges. Il nous en a parlé, et moi ça m’a enthousiasmé. J’aurais voulu que la 1ère Giromagny devienne troupe Raiders. Il y avait du boulot, on a fait tout ce qu’il fallait pour çà : les chefs du judo et de la moto. Le troisième second de patrouille n’a pas réussi ses épreuves de seconde classe. A cause de lui, on n’a pas pu candidater. J’y croyais moi !

Maurice Cattin : Oui, mais il ne pouvait pas y avoir deux troupes raiders par district. C’est la 4ème Belfort qui l’était. Nous à la 2ème Belfort, on l’avait saumâtre parce que notre ancien chef de troupe c’était Jean Lagarde, l’assistant de Michel Menu le commissaire national éclaireurs.

RF : On était quatre scouts à l’armée. Il y en avait un qui s’appelait Vernette, il était parachutiste et séminariste en même temps, et vingt ans après il passait à la télévision, et le journaliste l’appelait « Monseigneur ». Je ne sais pas exactement ce qu’il était, en tout cas, il suivait les sectes pour l’épiscopat français[28]. Ça me faisait marrer qu’il l’appelle « Monseigneur », alors qu’on avait fait un tas de bêtises ensemble !

Il y a quelque chose dont je suis fier. On était classé à la sortie de Saint Maixent. Moi j’a été classé septième sur six cents. C’est pas grâce à moi, c’est grâce au scoutisme ! J’étais fort en topographie, en signalisation… et les exercices militaires ce n’est ni plus ni moins que des grands jeux.

DV : Vous avez connu le père de Lucien Valette[29]

RF : Lucien Valette : son père, une fois en retraite, travaillait à la maison. Je sais qu’il a été fusillé ou tué. Je ne le connaissais pas. Il est mort pendant la guerre. Son père a été magasinier chez nous. Il m’en a parlé un petit peu, mais ça le gênait. Il était fils unique. Son père était un gars épatant qui faisait son boulot parfaitement au magasin. Pour s’occuper parce qu’il s’ennuyait chez lui, il prenait les compteurs de métiers à tisser qu’on me donnait à réparer, et il faisait ça pour s’amuser et se distraire chez lui le soir. Il parlait peu de son fils et n’a pas évoqué son appartenance au scoutisme.

J’ai remplacé mon père après son décès à la tête de l’entreprise, mais en même temps je faisais aussi marcher la troupe. Je ne pouvais pas passer quinze jours au camp à cause de l’entreprise, alors j’allais au camp en voiture un jour sur trois. J’avais une 2 CV. C’était encore les années de disette. Dans ma voiture, j’avais trois poules et deux lapins que j’amenais au camp.

 DV : Le chanoine Pierre[30] a-t-il joué un rôle dans le scoutisme ?

RF : Non, mais il a permis à ses vicaires de s’impliquer. On a été hébergés dans le foyer de la paroisse pendant vingt ans, on n’a jamais payé quoi que ce soit en eau, électricité…

Louis Bertrand[31] tire la couverture à lui. Louis Bertrand il avait fait beaucoup de choses. Il en disait plus que ce qu’il avait fait. Je suis vache !

Maurice Cattin : Robert Wipff, Roby, c’est mon beau-frère. Il disait que si Louyot s’était fait choper, c’est qu’il l’avait bien cherché. C’étaient des jeunes de 18 ans, c’est vrai qu’ils ont été imprudents. C’était con parce qu’il y avait le maquis là-haut. C’est vrai que le papa il avait raison, parce que tout était sous surveillance. Ils ont pris des otages partout, hein ! C’est vrai que c’était une drôle d’époque, et puis les gens de 17 / 18 ans ne voyaient pas le danger. On était moins informé de ce qu’était la guerre, et il y a un côté inconscient peut-être plus que maintenant. Moi j’avais 14 ans à cette époque-là [en 1941]. Quand on avait 15, 16 ou 17 ans, on prenait des risques. Finalement ça ne semblait pas si éloigné du grand jeu, sauf que c’était la réalité.

DV : Dans un autre ordre d’idées, est-ce que vous savez pourquoi la 4ème Belfort a quitté Sainte Marie après-guerre (1946 ? ou plus tard ?)

RF : Non.

Je vous lis quelques lignes du préfet de Belfort aux autorités de Vichy datées du 5 mai 1942[32] : « dans l’ensemble les chefs des mouvements de jeunes et principalement des mouvements scouts et d’action catholique semblent redouter un changement dans la politique de la jeunesse. Ils éprouvent une certaine défiance. Une personne qui chaque soir portait depuis le centre d’accueil des livres pour les prisonniers aux casernes vient de me confier qu’elle était attendue tous les jours par deux grands scouts qui l’aidaient à pousser la lourde charrette dans la montée ». Eh bien, j’étais un de ces deux grands scouts. Je n’étais pas le seul. Nous, ils ne nous laissaient pas approcher des gars qui étaient là.

 

[1] 4ème Belfort, Troupe Lyautey, créée fin 1934 à l’Institution Sainte-Marie de Belfort par le médecin Paul-Hubert Février connu en littérature sous le nom de Pierre Fuval.

[2] Pierre Dufay, né à Besançon le 28 décembre 1910, mort en service commandé le 31 décembre 1944 à Plobsheim (Bas-Rhin). A hésité entre le sacerdoce et l’armée. Après des études à Rome, il est ordonné prêtre le 21 septembre 1936, et nommé vicaire à Giromagny où il introduit le scoutisme. Mobilisé en 1939, il fait la campagne de France, et en revient avec le grade de capitaine et la croix de guerre. Il est alors nommé vicaire à Saint Georges de Vesoul et aumônier du lycée et des scouts de la ville. En août 1942, il est nommé à Belfort avec les mêmes fonctions. Il y rejoint alors l’abbé Maurice Pourchet, et succède à ce dernier comme aumônier du Clan Guy de Larigaudie. En août 1943 il devient, sous le pseudonyme de Raten, chef départemental des FFI du Territoire de Belfort. En septembre 1944, il commande le maquis de la Planche des Belles Filles, puis rejoint la 1ère DFL, et devient commandant du Commando Belfort de la Brigade Alsace-Lorraine. Il meurt en inspectant les lignes, dans un accident de sa voiture avec un camion de la 2ème DB. Depuis 1948, il repose à Aix-en-Provence.

VARRY (Dominique), notice « Dufay Pierre », in Laurent Ducerf, Vincent Petit et Manuel Tramaux (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine. Franche-Comté. Paris, Beauchesne, 2016, p. 280-281.

[3] Les scouts de Giromagny ont eu un local dans les anciennes casernes dans les années d’après-guerre.

[4] Passavant-la-Rochère (Haute-Saône).

[5] Pierre Kammerlocher (1919-1944), « Petit Kam », scout de la 4ème Belfort, assistant-chef à la 1ère Giromagny, Routier au Clan Guy de Larigaudie, ancien des Chantiers de jeunesse, aspirant de réserve, FFI à Baume-les-Dames, engagé volontaire au Commando de Courson. Lors de la libération de Belfort, guide les Commandos d’Afrique pour la prise du Salbert dans la nuit du 19 au 20 novembre 1944, puis le Commando de Courson pour la libération de Valdoie, tué le 20 novembre 1944 à l’usine Socolest de Valdoie, à quelques centaines de mètres de la maison familiale.

[6] Paul Coulon (1896-1973), Alouette diligente. Ingénieur à l’Alsthom, secrétaire du district Scouts de France de Belfort avant-guerre, commissaire du même district dans la clandestinité à partir de l’automne 1940 jusqu’en 1946 et au-delà.

[7] Scout d’une famille de notaires de Rougegoutte, village voisin de Giromagny. A fait fonction de chef à Giromagny pendant quelque temps.

[8] Lepuix-Gy, commune du Territoire de Belfort contigüe à Giromagny, au nord, au pied du Ballon d’Alsace.

[9] Dans la montée du Ballon d’Alsace.

[10] Jean-Daniel Dupont (1922-2017), frère aîné de Pierre Dupont. Routier au Clan Guy de Larigaudie et résistant.

[11] Pierre Dupont (1925-1944), scout puis Chef de Troupe de la 2ème Belfort, Ecuyer de France, chef d’équipe au Clan Guy de Larigaudie, maquisard, abattu à Auxelles-Haut le 16 septembre 1944. La lettre à ses parents écrite au soir du 8 septembre 1944, à Giromagny chez les Frick, pour annoncer sa montée au maquis, et qui a été publiée en 1946 par le Père Maurice Pourchet dans Épis moissonnés (pages 56-58) est un véritable testament spirituel.

[12] Bernard Braun (1925-1945), scout à la 1ère Giromagny puis à la 4ème Belfort, routier au Clan Guy de Larigaudie, agent de liaison du Père Dufay, capturé le 16 septembre 1944 alors que Pierre Dupont était abattu et Salvador Serena réussit à s’échapper provisoirement. Torturé deux jours durant à Giromagny, est resté muet. Déporté au Struthof puis à Dachau. Mort à Kaufering le 18 avril 1945, quelques jours avant son vingtième anniversaire.

[13] Marcel Braun (1897-1965), médecin, résistant, président du Comité de Libération de Belfort en 1944, président du Conseil général du Territoire de Belfort de 1958 à 1965.

[14] Les Allemands les ont expulsés de leur maison de Giromagny, pour l’occuper à leur usage.

[15] Lieu-dit situé au nord de Giromagny et de Lepuix-Gy, au pied du Ballon d’Alsace.

[16] Robert Perriaux (1910-1944), officier de carrière, membre de l’ORA et de l’AS, commandant la 2ème compagnie du maquis Territoire de Belfort à la Planche des Belles Filles. Après la dispersion du maquis, lui et ses hommes furent capturés en essayant de rejoindre les lignes alliées le 2 octobre 1944. Fusillé à Banvillars le 10 octobre 1944. PERRIAUX Robert, Pierre - Maitron (consulté le 1 mars 2025)

[17] Henri Dugois père (1896-1944), contrôleur des contributions. Entré en 1942 dans le mouvement Lorraine, chef des opérations aériennes pour la région de Belfort. Lieutenant FFI. Fusillé à Banvillars le 10 octobre 1944 avec deux de ses fils, chefs Éclaireurs de France : Henri Dugois fils (1921-1944), étudiant en médecine, sous-lieutenant FFI ; Claude Dugois (1923-1944) étudiant en pharmacie. FFI. Ce dernier était en contact quasi quotidien avec les Scouts de France du Clan Guy de Larigaudie. Blessé, il a été fusillé sur son brancard !

[18] Caserne du 35ème Régiment d’infanterie de Belfort.

[19] Buffard, commune du Doubs proche de la forêt de Chaux, entre la Loue et le Doubs.

[20] Charles Antoine (1929-2002), prêtre, journaliste, historien et écrivain.  Ordonné prêtre en 1955. Vicaire à Notre-Dame des Anges à Belfort jusqu’en 1964. Prêtre fidei donum dans la banlieue de Sao Paulo au Brésil jusqu’en, 1969. De 1971 à 1995, publie le bulletin DIAL (Documents et informations sur l’Amérique latine).

GRANDHAY (Jean-Claude), « notice Charles Antoine », in Laurent Ducerf, Vincent Petit et Manuel Tramaux (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine. Franche-Comté. Paris, Beauchesne, 2016, p. 80-81.

[21] Claude Demeusy (1931-2018), dit « Pachy », totémisé « Pachyderme affable », scout de la 3ème Belfort, chef du clan Guy de Larigaudie dans les années 1950.

[22] Henri Van Effenterre, Tornaq (1912-2007) Commissaire national Éclaireurs en zone occupée. Commissaire général du Jamboree de Moisson. Ancien élève de l’École normale supérieure, professeur d’histoire ancienne à l’université de Caen puis à la Sorbonne (Paris1), helléniste et archéologue. Il était directeur de l’IPES-Lettres de Paris Sorbonne [Institut de préparation à l’enseignement secondaire] quand j’y ai été nommé élève-professeur en 1977 au titre de mon admissibilité à une École normale supérieure. Je l’ai alors rencontré longuement… mais à ce moment-là j’ignorais tout de son passé scout. En revanche, je pense que lui a dû savoir très vite que j’étais scout.

[23] Maurice Pourchet (1906-2004), ordonné prêtre en 1931. Aumônier du lycée de Belfort en 1937, et de la 2ème Belfort, premier aumônier du Clan Guy de Larigaudie (1941-1943), résistant avec le Père Dufay, membre du Comité de Libération de Belfort, médaillé de la Résistance avec rosette, vicaire général du diocèse de Besançon en 1951. Évêque de Saint-Flour de 1960 à 1986. Participa au concile Vatican II.

DUCERF (Laurent), notice « Pourchet Maurice », in Laurent Ducerf, Vincent Petit et Manuel Tramaux (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine. Franche-Comté. Sous la direction de, Paris, Beauchesne, 2016, p. 611-612.

[24] Jean-Pierre Koël (1926-2009). La librairie Koël, faubourg de France, était la grande librairie de Belfort.

[25] Notre-Dame du Grippot, petite chapelle construite en 1867 dans la forêt, sur les flancs de la montagne du Fayé, à Grosmagny, commune du Territoire de Belfort, située à 5 km à l’Est de Giromagny. Elle fut durant toute l’occupation un des hauts-lieux du scoutisme belfortain clandestin.

[26] La Madeleine Val des Anges, petite commune du piedmont vosgien, à l’Est de Giromagny.

[27] Commune du canton de Giromagny.

[28] Eglise catholique en France - Mgr Jean Vernette est décédé, lundi 16 septembre 2002

Mgr Jean Vernette est décédé, lundi 16 septembre 2002 (diocèse de Montauban).

Né le 26 février 1929 à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), ordonné prêtre du diocèse de Montauban le 30 mars 1952, Mgr Jean Vernette a été supérieur du Petit séminaire du Sacré-coeur de Montauban le 11 juillet 1957. En 1971, il est nommé directeur national du catéchuménat en France, coordinateur des catéchuménats européens et Vicaire épiscopal à Montauban. Docteur en théologie, licencié en philosophie et droit canon, il était connu pour sa grande connaissance des sectes En 1973, le Conseil permanent le nomme délégué de l’épiscopat pour les questions sur les sectes et les nouveaux courants religieux. Responsable du service national «Pastorale, sectes et nouvelles croyances» dans la commission épiscopale de la Mission universelle de l’Église en France, il a collaboré à plusieurs revues. Il a rédigé de nombreuses publications sur les sectes et des ouvrages sur la catéchèse et la pastorale dont La méthode catéchétique de Théodore de Mopsueste (Rome), Pour les adolescents d’aujourd’hui : des Temps-forts (Sénevé), Seront-ils chrétiens ? Perspectives catéchuménales (avec le P. H.Bourgeois, ed. Chalet), le New age (que sais-je ?, 1993) Sectes et réveil religieux, quand l’Occident s’éveille (Salvator), les nouvelles thérapies (avec Claire Moncelon, poche, 2001), Dictionnaire des groupes religieux aujourd’hui (avec Claire Moncelon, puf, 2001), les sectes (puf) etc.

Ses obsèques ont été célébrées le mercredi 18 septembre 2002, en l’église Notre-Dame de la Paix à Montauban.

[29] Lucien Valette (1922-1944), fils du chef de gare de Giromagny. Éclaireur à la 3ème Belfort, membre de la « Pré-Route » de cette unité en 1939-1940, qui donnera naissance au Clan Guy de Larigaudie en octobre 1941. A quitté Belfort en 1940, probablement au moment de la débâcle, et a rejoint l’Aveyron d’où était originaire sa famille paternelle. Aspirant de la section de sabotage du maquis Paul Claie, dit aussi maquis de Saint Affrique, sous le pseudonyme de Deville. Tué au combat de La Pezade, sur le Larzac, le 22 août 1944. Enterré à Giromagny.

[30] Louis Pierre (1881-1964), ordonné prêtre en 1907. Curé de Giromagny de 1935 à 1951. Dénoncé, il est arrêté le 7 octobre 1944 à la sortie de sa messe. Le 6 décembre 1944, il est le seul des 28 résistants conduits à Banvillars à ne pas être exécuté, ayant demandé à être fusillé de face en tant qu’officier français, et est déporté à Dachau. A son retour, le 17 mai 1945, il témoigne de ce qu’il a vu à Banvillars.

Dictionnaire biographique du Territoire de Belfort, Belfort, Société belfortaine d’émulation, 2001, p. 491.

[31] Louis Bertrand (1923-2013), dit « Louyot », totémisé Bouvreuil ardent. Entré à la 3ème Belfort en 1935, fait fonction de Chef de Troupe de cette unité durant l’occupation. Chef d’équipe au Clan Guy de Larigaudie, réfractaire au STO, résistant. Arrêté le 28 août 1944, déporté à Buchenwald.

[32] Trouver les références de ce texte. Il est intéressant. Le scoutisme est interdit par l’occupant. On est en zone interdite… mais le préfet de Vichy sait qu’il y a des scouts, et qu’ils sont actifs !


 

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